Une belle leçon de vie pour nos bambins, qui apprendront grâce aux pouneyz magiques les saines valeurs du capitalisme et de l’argent roi.
J’aime les petits poneys. Comme beaucoup de vieux tordus, je trouve un certain réconfort dans la simplicité colorée de cette série d’animation créée à des fins de marketing certes, mais néanmoins très funky. Bref. Lorsqu’on m’a parlé de cette appli sur le Google Play, mon cœur ne fit qu’un bond: j’ai volé la tablette du premier mec venu (c’était Florian) pour y installer la bête. Je ne réalisai que trop tard que j’avais lâché un monstre terrifiant sur le Monde… lorsqu’au bout de trois jours de farming et d’optimisation intensifs, s’éleva à trois heures du matin le cri de « HAHA, j’ai pété ton highscore au lancer de ballon ! » dans la gorge pourtant velue d’un rédac’ chef fatigué, j’ai su que nous étions allés trop loin. Quelque chose n’allait plus chez nous: réveillés le matin par la chanson du Mariage Royal de la princesse des Poneys, abreuvés de nouveaux épisodes à la pause de midi, un poney rose miniature trônant fièrement sur le bureau, ils avaient pris possession de notre vie.
Des poneys. Partout.
Enfin, pour en revenir au jeu, commençons par dire qu’il s’agit d’un énième quelquechoseVille comme on en trouve par centaines sur Facebook et l’AppStore. L’une de ces applis détestables où il faut construire sa cité, en l’occurrence Ponyville détruite par la méchante Nightmare Moon, recruter des gens pour produire des trucs, et aller ennuyer ses amis avec des notifications et des invitations à se connecter toutes les demi-heures. Sauf que là c’est des poneys, et comme l’application est joliment réalisée, on s’est laissés prendre au jeu.
Mettons-nous à présent dans la peau d’un jeune enfant qui découvre ce charmant petit jeu en trifouillant sur la tablette dont maman se sert pour lire 50 Shades of Grey à l’insu de tous.
Face à la lourde tâche de reconstruction qui s’offre à lui, il n’aura d’autre solution que de lever des fonds et recruter de la main d’œuvre étrangère, en l’occurrence les poneys réfugiés dans un village voisin pour fuir les affres de la destruction de leur ville natale. Son petit capital de départ se révélant vite insuffisant pour développer la cité, il aura la possibilité d’attendre que ses bâtiments de production deviennent rentables grâce au travail gratuit de quelques poneys non syndiqués, ou bien d’acheter des pièces d’or et autres rubis dans le shop en échange de vrai argent, grâce à la carte bleue de Papa sans doute. En d’autres termes, contracter un emprunt envers quelque puissance économique supérieure.
Comment sortir Ponyville du marasme économique imputable à une crise financière d’amplitude mondiale ?
J’en sais rien moi, me demandez pas…
Tout s’achète dans ce jeu: pièces d’or, rubis pour accélérer les travaux, éléments magiques de l’Harmonie, poneys, même le temps, ce précieux temps qui détermine l’arrivée de nouveaux contenus et ressources, est à portée de carte bleue. Une vraie appli Facebook de la grande époque, dans toute sa splendeur. Le moindre caillou à déplacer coûte une blinde, et que dire de l’extrême lenteur au travail des ouvriers Équestrians, digne de celle d’une entreprise de BTP marseillaise.
Les poneys ramenés au pays grâce à des stratagèmes divers, comme une jolie fête avec des ballons ou la promesse d’une détaxation sur la production du cidre, travailleront sans relâche dans les bâtiments de production de la ville pour générer toujours plus de ressources. Leur aptitude au travail est déterminée par leur niveau, et seuls les poneys les mieux qualifiés pourront prétendre aux postes importants pour produire des produits de luxe. Ce n’est qu’au prix de séquences répétées de jeu de balle ou de récolte de pommes que votre poney favori pourra prétendre à l’honneur suprême des cinq étoiles qui lui permettront de faire tourner le fabrique de cupcakes de la ville de façon optimale. Et tout comme les meilleures études coûtent cher, les items d’amélioration d’XP nécessiteront de mettre la main au portefeuille.
Une application intelligente en somme, qui apprendra aux bambins que tout se paye, même chez les poneys, et que pour avoir de l’argent y’a pas 36 solutions: ou on travaille longtemps pour farmer les piécettes une à une, ou on a de l’argent en vrai et on achète tout comme ça toute notion de progression disparaît du jeu et on en termine en un tournemain.
Un jeu qui nous rappelle à quel point le bourbier infâme qui nous sert de Monde est régi par des valeurs malsaines et autodestructrices. S’il y a encore une petite semaine, la série My Little Pony apportait un peu de sérénité à mon coeur triste grâce à sa couleur et à son insouciance, cette appli a corrigé ça en transformant ce rayon de soleil en laser chirurgical. Merci. Blague à part, ça m’amuserait énormément d’arriver au niveau maximal du jeu, jusqu’à un point où la ville serait tellement développée que toute notion de croissance nouvelle serait impensable. Les poneys en surpopulation n’auraient pas assez de travail, l’argent perdrait de sa valeur et seule la destruction de Ponyville permettrait de relancer l’économie, donc le jeu.
Bon, je vous laisse, j’ai des tartes aux pommes à récolter et Pinkie Pie doit passer au niveau quatre. Je pourrai bientôt construire une école dans ma ville, ça va rapporter gros ça… non ?