Indie Game le film, c’est 1h30 d ‘interviews de losers émotifs qui parlent de leurs vies pourries, de leur enfance bancale et de leur profonde tristesse quand les internetz postent des commentaires méchants sur leurs jeux.
Date de sortie : 12 juin 2012
Genre : documentaire animalier
–
Réalisation : Lisanne Pajot & James Swirsky
90 minutes de dérives narcissiques tournant essentiellement autour de trois jeux, Braid, Super Meat Boy et Fez et leurs développeurs, que l’on va suivre à différentes étapes de la création et de la promotion de leur jeu. Grosso-merdo, on nous dépeint ces devs (qui passent tous sacrément bien à l’écran d’ailleurs) comme des artistes incompris d’un monde cruel qui décidément ne bite rien à leurs jeux, qui se donnent corps et âme pour achever leur soft et qu’il soit tel qu’ils l’ont imaginé – un jeu personnel, le jeu auquel ils veulent jouer, un truc qui raconte leurs états d’âme aussi. Voilà pour la trame, le déroulement et la conclusion.
Dans l’absolu, comment ne pas adhérer à leur démarche ? Une approche « artistique » du jeu vidéo libérée des pressions financières et managériales d’une industrie de plus en plus déviante, où on prend le temps qu’il faut pour finir le jeu proprement, où on n’est pas obligé de faire des concessions pour plaire au plus large public, où les boards d’actionnaires ne viennent pas faire chier; bref une façon de créer qui devrait être la règle et non l’exception. Quitte à oublier que le jeu, à l’instar de la presse ou du cinéma, n’est qu’un produit, un média à vendre, fait douloureux que ces braves passionnés ne semblent assimiler qu’une fois mis face aux difficultés liées à l’industrie, ou tout simplement à la vie de tous les jours. Tout absorbés qu’ils sont par leur démarche, ils semblent redécouvrir la vraie vie au fil du documentaire. Surprenant peut-être, touchant éventuellement si on a bu, chiant si comme moi vous n’avez rien à foutre de la vie de ces gens.
Indépendants, mon cul.
Le truc marrant, c’est que des fois, il faut qu’ils mangent ces braves gens, et que quand on passe trois ans de sa vie à développer un jeu, à ne faire que ça, ben on n’a pas d’argent et à un moment on a besoin de vendre ledit jeu parce qu’on a faim, quand même. Et là, le paradoxe pointe le bout de son nez: la Team Meat (les deux josés qui ont fait Super Meat Boy) se démène pour respecter la deadline imposée par Microsoft afin d’avoir un peu d’espace publicitaire sur le Xbox Live Arcade, et Phil Fish (l’insupportable créateur de Fez) voit son financement disparaître parce qu’il dépasse systématiquement les deadlines de production de son jeu (auprès de Microsoft aussi, si j’ai bien tout compris). Indie, mais pas complètement ? Bon, rassurez-vous, à la fin du film les jeux se vendent super bien, tout le monde fait plein de pognon et youpi c’est la fête. Peut-être qu’il aurait été pertinent de parler des échecs aussi, à ce moment là, histoire de ne pas envoyer un message trop faussement positif à la face du monde – façon « hé regardez c’est dur mais en y croyant très très fort on y arrive quand même, croyez en vous, croyez en vos rêves faire des jeux vidéo c’est super houhou » ce qui est un tantinet éloigné de la réalité. A titre personnel, j’aurais bien aimé voir ce qui se serait passé si le développement de Fez n’était pas arrivé à son terme, parce qu’à la question « hé tu fais quoi si t’arrives pas à terminer le jeu ? » Phil Fish a répondu « ben je me suicide ! », ce qui aurait indiscutablement donné un peu de piment à l’histoire et légitimé le type dans sa démarche d’artiste torturé. En vrai, le jeu est maintenant terminé et notre homme toujours en vie – et tant mieux si ça lui permet de faire un second jeu aussi jouissif que le premier !
Mais bon, une fois qu’on écarte les jolies musiques de Jim Guthrie (voir Sword & Sworcery, entre autres), les plans de coupe façon film d’auteur et les passages super intéressants (la femme d’Edmund Mc Millen veut un chat, Tommy Refenes mange un cheesburger) que retient-on du film ? Une analyse du jeu indie, une histoire de passion partagée, une virulente critique du diktat des éditeurs qui sont très, très méchants comme chacun sait ? Nope, on n’a rien de plus ni de moins qu’une galerie de portraits de mecs qui ont réussi à se démarquer dans cette niche du jeu indé, un résumé de leurs vies, de leurs galères, de la façon dont leurs jeux sont une espèce de psychanalyse, d’exercice de remise en question et un moyen de communiquer avec un monde qu’ils n’aiment pas – le monde réel qu’ils semblent décidément découvrir à la moindre galère. Leurs doutes, leurs peurs, leurs craquage dont, je ne sais pas vous, mais moi je n’ai rien à battre. Pas plus que de la marque de shampoing de Jennifer Lopez ou de tout autre étalage médiatique de la vie quotidienne d’un José qui a fait Koh Lanta.
Sérieusement, WTF.
Que Braid soit un bon jeu parce qu’il est beau, agréable, qu’il a plein de mécanismes cools est une chose; qu’ils soit le reflet des peurs et des failles de son créateur, on s’en branle. Qui est ce type pour s’étaler ainsi sur nos écrans et chouiner quand le public ne comprend pas sa démarche ?
A moins que ce moment tant redouté ne soit arrivé, ce glissement inéluctable du jeu « indépendant » du statut de produit culturel vers celui de bien de consommation standard, bête divertissement soumis aux phénomènes de modes et à toutes les dérives qui vont avec, peoplisation (ouh le beau néologisme) et publicité à outrance comprise ? Ce qui n’était que le délire underground de quelques illuminés au début passe sous le feu des projecteurs, eut égard aux inattendus succès commerciaux que furent les jeux cités plus haut, sans doute. Une bonne chose pour les développeurs qui jouissent enfin de la renommée qu’ils méritent (ou pas toujours ?). Reste à voir ce qui va se passer maintenant que l’underground est devenu mainstream.
Plus grave encore, je ne comprends pas qu’un film qui ne dit ni ne montre rien d’intéressant sur un sujet pourtant riche ait rencontré un tel succès d’estime. Si vous avez vu et aimé ce film, n’hésitez pas à venir m’expliquer pourquoi parce que décidément, je ne vois pas.