Mais qu’est-ce donc que SS&S:EP ? Un disque dans un jeu, façon drama qui raconte une histoire d’où l’ «EP» pour Extended Play ? Non, puisque le narrateur est déjà mis en abîme par deux fois dans l’univers. Ou peut être que si. On s’en branle. Et ça ne fait que commencer, vous allez voir.
Date de sortie: 24 mars 2011 sur iPad
Genre: Expérience tactile, plus ou moins
Plate-forme: iPad, iPhone, Steam, Mac; testé dans sa version Steam
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Développeur: Capybara Games
Attention, cet article contient de vagues spoilers. Les méchancetés en introduction ne sont là que pour caresser le troll qui est en vous.
Au risque de passer pour le masturbateur d’intellect de service, la narration de ce jeu est finalement ce qui m’interpelle le plus. On y dirige le personnage principal d’un conte, la Scyte, jeune fille portant glaive et bouclier à la conquête des trésors perdus des montagnes du Caucase. Au rythme de ses pérégrinations, très guidées par le scénario comme par les personnages secondaires, va se tisser une historiette simple faite de magie et de spectres, tantôt commentée par le spectateur / joueur sous forme d’observations courtes dont la froide objectivité laisse à penser qu’elles sont faites par un spectateur omniscient; tantôt coupée par les interventions du narrateur, étrange gugusse en costard fumant cigare, qui viendra nous expliquer quelques subtilités de gameplay à des moments clés. Plus étrange encore, il y a ce grimoire qui consigne toutes les pensées des protagonistes et qui semble influer sur le monde. En tant que joueur, je me sens étrangement détaché de cet univers et de ces personnages dont le design est assez alien : filiformes, dégingandés dont les membres sont faits d’une unique ligne de pixels et sans visages. On ne sait pas grand chose d’eux, ils n’ont qu’un rôle à jouer. Comme le petit chaperon Rouge et le Bûcheron, qui n’existent pas en dehors de leur contexte, ils ne vivent que dans le conte et sont définis par ce qu’ils y font. Branlette ? Certes. Mais dans ces conditions, comment se perdre dans un jeu qui nous rappelle sans cesse son aspect fictionnel, empêchant par là même toute immersion ? On me l’avait pourtant vanté comme un genre de machine à rêve poétique, me voilà tout perplexe. Avançons un peu pour voir.
La progression est découpée en épisodes, marqués par une pause du narrateur qui nous enjoint à quitter le jeu un instant et y revenir plus tard. Et il a raison: à la longue, SS&S:EP est chiant. Le secret, c’est l’état d’esprit. On va donc faire un petit exercice: commencez donc par étirer vos membres supérieurs, le dos bien droit sur votre chaise, puis agitez les bras de haut en bas, d’abord lentement puis de plus en plus vite. Profitez-en donc pour mélanger un tiers de vodka, deux tiers d’un quelconque jus de fruits et un doigt de cointreau dans un shaker, histoire de ne pas secouer les bras pour rien. Servez-vous un verre, radossez-vous, oubliez votre quotidien morne, lancez le jeu: voilà, on est pas bien là ?
Jouons.
Si le gameplay, très « tactile » se prête sans doute mieux à un support tablette, SS&S reste très agréable à caresser du bout de la souris. Et puis, on est définitivement mieux posé dans le cannap’ à jouer sur un bel écran, avec un bon casque, que le cul sur un strapontin de métro entouré de zombies puants pour profiter de l’expérience. Pas d’action ici, pas de prouesses, la progression est faite d’aller-retours dans des décors calmes et de petites énigmes, ponctuées de jolis bruits et de gazouillis mignons. Touittons un peu notre progression, pour faire bonne mesure et peut-être, aider le joueur qui n’a pas notre habileté à avancer dans le jeu, émerveillons-nous des décors minimalistes dans leur exécution mais bourrés de détails rigolos. Tout cela dégage une ambiance inhabituelle, et pour un peu on retrouverait ce que l’on a fini par perdre de vue dans tous ces jeux qui, à force de vouloir faire différent, se ressemblent: du dépaysement.
Oui, ça fait des phrases un peu longues mais ne laissez pas la vodka vous troubler.
La musique est plutôt jolie, tantôt sautillante, tantôt magistrale et rythmée sur l’action, et joue pour beaucoup dans l’ambiance. Parce que si on devait compter sur ces tas de pixels inexpressifs que sont les personnages pour transmettre une émotion, hein…
Gnêêêh, la détente.
Parlons un peu, des énigmes tiens. Cliquer sur le bon élément de décor, caresser un ruisseau, faire gouzi-gouzi à de petits moutons, regarder bruire les buissons: rien de compliqué en soi, il suffit de chercher le pattern le plus euh, « poétique » disons, que l’on peut tirer de l’environnement et le reste vient tout seul. Quelques combats viennent rythmer tout ça, tout simples eux aussi et basés sur le rythme. Rythme de la musique et des mouvements de l’adversaire.
Du côté négatif, je regrette surtout de ne pas avoir vu plus d’environnements différents. L’exploration et la découverte tranquille (le tourisme, exactement !) de joli décors sont pour une bonne part du plaisir et je trouve dommage de faire des aller-retours dans des lieux déjà visités plutôt que de pouvoir en découvrir de nouveaux. Cela mis à part, il n’y a pas grand chose à reprocher à ce petit jeu qui remplit bien son rôle de promenade de détente. Cet OVNI que j’ai retrouvé glissé dans mon Humble Bundle V était le jeu dont j’attendais le moins, il s’est révélé être le plus surprenant ! Par contre, les multiples blagounettes et références obscures, qui jouent et rejouent de la mise en abîme dont décidément les développeurs ont l’air d’être très fiers, peuvent s’avérer lassantes à la longue. On peut toujours les touitter, pour rire.
Also, à quand un portage sur Androïd ?
Fidèle du début à la fin à ses choix graphiques, d’ambiance et de rythme, SS&S:EP se caresse langoureusement du bout du doigt – ou du curseur – confortablement calé dans son cannap’. Une jolie promenade, peut-être un brin prétentieuse, malheureusement cantonnée à une petite zone. On veut en voir plus !
On aime:
- Le traitement graphique
- L’ambiance sonore et la musique
- La narration
On râle sur:
- L’histoire un peu légère
- Un monde trop petit