Dans la précédente partie, je vous ai présenté la conférence que nous avons eu la chance de suivre en compagnie de deux membres du studio de Naugthy Dog. Je vais donc continuer à vous parler de grands créateurs et vous donner quelques infos que j’ai pu glaner de manière informelle.
La seconde partie est consacrée à une présentation du parcours de trois grands noms du jeu vidéo, soit Frédérick Raynal, Jordan Mechner et Eric Chahi. La conférence n’en est pas vraiment une puisqu’on peut poser des questions à tout moment ce qui donne une vraie sensation de proximité avec nos interlocuteurs malgré la distance avec la scène. Il est très difficile de vous transmettre tout ce qui s’est dit et dans l’ordre, je vais donc juste aborder les principaux points qui ont été soulevés durant la conférence.
Au commencement, il y avait une console de programmation
Inévitablement, il faut commencer par le début et c’est Jordan Mechner, le papa de Prince of Persia qui débute en parlant de ses débuts avec son premier jeu. Il nous dit s’être inspiré d’astéroïde et de pong pour créer une démo qu’il envoya à un éditeur mais qui ne vit pas le jour. Dans la foulée, il nous présente son tout premier jeu, Karateka, de 1984 et enchaîne sur son remake actuel de 2012. Jordan revient donc sur le devant de la scène vidéo ludique après un petit moment d’absence avec ce jeu de combat qui est sorti le 14 novembre 2012 sur Xbox live et qui sera porté sur les autres plateformes très prochainement. Le principal succès de Jordan étant le légendaire Prince of Persia de 1990 repris par la suite par Ubisoft, il nous fait alors découvrir qui était le véritable prince de Perse dans une vidéo de 1985 dans laquelle on retrouve son frère qui réalise tout les mouvements que l’on retrouve ensuite dans le jeu. La vidéo de présentation fait le parallèle entre les images de la cassette VHS (pour nos plus jeunes lecteurs, c’est l’ancêtre du CD) et celle du jeu, c’est étonnant de retrouver les mouvements une fois replacés dans leur contexte, en ce qui me concerne, ça m’a donné envie de faire la même chose (petit frère si tu lis ces quelques lignes tu sais ce qui t’attend !). Eric Chahi, le créateur de Another World notamment, nous confie que le premier jeu qu’il proposa dans le début des années 80 à un éditeur ne rencontra pas un succès énorme, il avait eu le choix entre recevoir 500 francs (soit moins de 200€) ou une imprimante couleur et deux pad, ce qui lui avait permis de faire d’autres jeux et de les tester.
Puis vient le tour de Frédérick Raynal connu pour Alone In The Dark, il nous montre son tout premier jeu qu’il avait développé sur minitel durant de longues nuits avec des amis juste pour le fun et faire jouer ses amis, il avait majoritairement fait les graphismes et le game design. Le jeu Pop Corn de 1988 fut diffusé dans le monde entier et poussa Infogramme à contacter la jeune équipe pour les embaucher. Petite remarque, du coup, on se rend compte que le principal point commun c’est qu’ils étaient peu nombreux à faire un jeu, qu’ils avaient tous l’envie de programmer et de partager leur création.
Faire des jeux c’est plus fort que toi !
Un membre du public pose une question intéressante, il demande quel aurait été le métier de ces trois créateurs s’il n’y avait pas eu le jeu vidéo. Enfant Eric voulait devenir inventeur, il avait créé sa propre pâte à modeler magnétique en mettant de la limaille de fer dedans, mais avec le temps il aurait certainement fait quelque chose dans le graphisme. De son côté Jordan ne sait pas trop, il aurait probablement eu un métier en rapport avec les films. Enfin Frédérick aurait certainement fait un métier qui lui permettrait de faire jouer les gens car dès son plus jeune âge, il a toujours réalisé des jeux traditionnels en bricolant des trucs en papier, même si petit il aimait brancher des micros et voulait devenir chanteur pour cette raison. Il profite de l’occasion pour nous en montrer plus en nous dévoilant le « proof of concept » (démo technique pour les éditeurs) du moteur de Alone In The Dark pour convaincre Infogramme, sachant que nous sommes en 1991, la 3D hésitait à peine, il n’y avait pas d’éditeur 3D, c’est donc ce fou/génie qui créa le tout premier éditeur de modélisation et d’animation 3D. Il reprend toutes les bases des jeux que l’on peut voir maintenant, il y avait la gestion des caméras, la création de murs en fil de fer qui permettait ensuite de prendre des screens et dessiner ensuite les décors, l’animation et la modélisation avec une petite quantité de polygones en pensant à toutes les contraintes techniques de l’époque. Quand on vous dit que le jeu devait tourner sur moins de 50 méga octets, avec des configurations inférieures au plus mauvais Smartphone du marché, on ne peut qu’être totalement émerveillé devant tant de travail et d’ingéniosité.
Apparemment, le développement d’outils spécifiques pour la création d’un jeu est un gage d’innovation, car comme le modeleur 3D de Frédérik, Jordan a développé un éditeur de niveau pour aller plus vite et Eric avec ses équipes ont du penser des outils particuliers pour From Dust. Il y a un véritable enjeu autour des technologies et de la programmation, en y réfléchissant bien, c’est vrai que tout est conditionné en fonction de ces deux aspects car même si on a les meilleurs graphistes / infographistes du monde, les meilleurs musiciens etc., sans une personne qui maîtrise la technologie et qui fait les interactions, bah il n’y a pas de jeu et pis c’est tout. Alors quand Eric avait dit qu’il ferait la Game Jam de l’année prochaine, il propose à Frédérick de l’accompagner, sauf qu’après les explications de l’intéressé, sur le fait qu’ils ont tous deux leurs habitudes de conception et qu’ils ne connaissent pas les technos de développement actuelles, se serait un grand défi effrayant pour lui.
La passion, source et moteur de la création
Une chose est sûre, ils ont tous cette volonté de faire interagir le joueur dans leur création, le prix à payer pour parvenir à réaliser leur jeu, c’est énormément de travail, beaucoup de persévérance et de nombreux sacrifices surtout au niveau du sommeil. Eric précise que la création de jeu c’est beaucoup de doutes et de remise en cause, le plus simple réside dans les dix premiers pourcents de la création, c’est le moment de la conception, car les 90% de production se font dans la douleur, finalement c’est un peu comme une naissance, 10 minutes de plaisir pour 9 mois de production et des années de joie de voir son bébé grandir (poésie quand tu nous tiens). Cette idée de frustration, de doute est encore plus présente actuellement dans les grosses productions selon Frédérick, car le temps de prod a très largement augmenté (jusqu’à 10 ans pour certains), ce que l’on trouvait innovant au début perd de son originalité après 1 an et plus on reste sur le projet, moins il est possible de se rendre compte de son impact final. Personnellement, ça me fait mieux comprendre pourquoi certains jeux voient leur date de sortie repoussée et certains jeux sont de moins bonne qualité (sans parler des coupures de budget). On ne peut pas prévoir ce que le jeu sera entre le début et les nombreuses années qui se passent avant la sortie, ce doit être un perpétuel renouvellement, ce constat confirme bien ce qu’avaient dit les membres de Naughty Dog à la conférence précédente (voir mon article première partie).
C’est peut être pour cette raison que Eric souhaite se relancer dans la conception de jeu en solo dans son garage, un retour aux sources qu’à déjà entamé Philippe Ulrich avec Captain Blood Legacy. J’ai eu l’occasion de rencontrer et de parler de ses futurs projets (le lancement d’une plateforme de financement à la Kick Starter pour le jeu vidéo français, sa volonté de faire des jeux qui peuvent aider des patients après des problèmes de santé et la création de son futur studio de jeu à Montpellier). La conférence se termine avec tout un tas de questions et tout comme pour la conférence précédente la possibilité de les rencontrer, ce que je n’ai pas manqué de faire cette fois. J’ai pu remercier Jordan Mechner pour son travail et surtout pour le tout premier Prince of Persia que j’adorais sur Master system, j’ai pu parler un moment avec Frédérick Raynal qui est un vrai grand passionné, on sent qu’il est constitué à 70% de jeu vidéo (reprise de la pensé d’Hideo Kojima) mais du coup j’ai raté Eric Chahi. Et c’est par le plus grand des hasards que j’ai également rencontré Patrice Désilets, le créateur d’Assassin’s Creed, l’occasion était trop belle pour ne pas profiter de lui demander quelques conseils pour travailler dans le jeu vidéo et plus largement, le questionner un peu sur le Québec (l’Eldorado des créateurs du numérique français), sa réponse est comme toutes les autres, il faut bosser comme un fou, ne pas lâcher, mais aussi savoir faire quelque chose d’autre à coté, il ne faut pas s’enfermer, prendre du recul est primordial pour ne pas se sentir étouffer.
Autant dire que cette journée restera vraiment gravée dans ma mémoire et que lorsque j’aurai des doutes dans mes futurs réalisations, je relirai cet article pour me remémorer tous ces conseils. Certains qualifient ces trois créateurs de papis du jeu vidéo, ce que je trouve condescendant et déplacé, ça donne l’impression qu’ils sont « Has been » alors que pas du tout, je dirais qu’ils sont des pionniers du jeu vidéo et des mentors, sources d’inspiration et d’admiration. J’espère que ces articles vous permettront de mieux comprendre de processus de création des jeux, qu’ils vous permettront de porter un regard nouveau sur ce qui nous donne tant de plaisir, que vous soyez uniquement des joueurs ou de futurs travailleurs dans le milieu du jeu vidéo.
Note personnelle : Prendre un appareil photo, parce que le Smartphone c’est bien pour dépanner mais c’est inutile dans quand il n’y a pas beaucoup de lumière et qu’il faut faire vite.