par Doude le 20 juillet 2012

Les mécanismes de la peur, part 2

Un dossier qui sent toujours la mort.

Suite et fin de notre dossier qui décortique comment c’est fait un survival-horror. Les dessous de ce genre ô combien populaire enfin révélés au Monde, comme l’intestin grêle du PNJ qui meurt au début parce qu’il a voulu voir ce qui faisait du bruit au grenier.

Cet article est la suite de la partie 1 de notre dossier sur la peur, et ouais !

On a donc un ou plusieurs personnages, qu’on aime bien et qu’on n’a pas envie de voir mourir. Ils auraient pu se la couler douce dans un royaume de fantasy ou avoir des gros flingues pour leur faciliter la tâche, mais non: les survival-horrors sont des jeux qui ne sont pas tendres envers leurs protagonistes.

Silent Hill 3

Silent Hill a tous les ingrédients: contexte incompréhensible, personnages démunis, décors délabrés et créatures répugnantes.

La mise en scène

Trèèèès important la mise en scène, qui emprunte souvent au cinéma et en adapte les ressorts. Témoins les premiers jeux de la saga Resident Evil: prenez une ville un peu dévastée, une vue à la troisième personne, utilisez un système de déplacement par tableaux mal cadrés regorgeant d’angles morts, faites dégorger des gens en loques ensanglantées des dits angles morts et vous avez un moule propice aux situations les plus terrifiantes ! Maintenant, prenez une ville un peu dévastée et une vue à la troisième personne, mais donnez au joueur le contrôle de la caméra et une grande liberté de mouvement. Le survival se transforme en jeu de tir au pigeons façon Dead Rising. Dans le premier cas, la lente avancée des zombies vers le joueur acculé dans une impasse est source de stress; dans le second cette lenteur couplée au large champ de vision du PJ en fait des cibles faciles et l’ascendant du joueur sur le jeu n’est plus qu’une question de skill. Une simple différence de cadrage qui change le gameplay du tout au tout ! Certes, il y a d’autres paramètres à prendre en compte, mais bien souvent le passage d’un genre à un autre tient à peu de choses.

Le contexte participe beaucoup à l’un des mécanismes les plus essentiels de la peur, l’anticipation. Le recours aux « screamers », à l’origine des visages effrayants qui poppent en plein milieu de l’écran en hurlant quand on ne s’y attend pas (voir the Suffering !) joue à fond là dessus et, dans les jeux comme au cinéma, s’appuie pleinement sur l’ambiance pour faire tout son effet.

Souvenez-vous de F.E.A.R. premier du nom et de la petite Alma ! Tout au long du jeu, on est confronté à des vagues de soldats clones sur lesquels on a le plus souvent l’avantage. Notre personnage est plus habile, a l’avantage de la surprise et peut utiliser un pouvoir spécial pour accélérer ses mouvements; bien qu’en supériorité numérique ces soldats sont une menace bien tangible et tout à fait surmontable. Et voilà qu’en cours de mission nous sommes confronté aux apparitions épisodiques d’Alma qui renverse tous les codes du jeu: pyrokinésie, invulnérabilité, hallucinations, même le super soldat que nous sommes devient impuissant face aux manifestations de ce personnage monstrueux. A tel point que l’on redoute et anticipe ces rencontres: tout ce qui paraît un tant soit peu surnaturel devient suspect ! Lumières qui clignotent, objets qui tombent sans raison, grincements dans les conduites d’aération peuvent être les prémices de l’apparition du fameux screamer qui annonce la venue d’Alma. On en est presque rassuré quand au bout du couloir retentissent les voix, inhumaines mais familières, de ces bons vieux soldats clones.

Afterfall: InSanity

Un escalier, pas de visibilité, un maillet comme seule arme. 1000% de chances qu'une merde sorte de l'ombre.

Bien qu’efficaces, les principes du screamer ou de la bestiole qui sort de nulle part s’épuisent assez vite. J’ai été assez désolé de voir que dans Dead Space, une fois qu’on a compris qu‘une bouche d’aération = une saloperie cachée, le jeu a plus de mal à surprendre. Un problème qui a été résolu dans Dead Space 2 dans lequel les scripts sont beaucoup plus variés, voire agrémentés d’une variable aléatoire: impossible de prédire ce qui va arriver à moins d’avoir déjà exploré le niveau ! Vous croyez avoir compris le fonctionnement des nécromorphes qui se déplacent dans les fameuses conduites d’aération ? Pas de chance, cette fois ils passent par la porte. Les lumières s’éteignent, vous êtes sur le qui-vive ! Pas de chance, il ne se passe rien jusqu’à ce que vous vous fassiez attaquer en pleine lumière. Et ainsi de suite. C’est la règle de l’attaque surprise qui prévaut ici: toujours surgir au moment où le joueur s’y attend le moins, quitte à créer artificiellement des situations auxquelles il va s’habituer avant d’en renverser les codes. Quels bâtards ces développeurs. C’est grâce à une pression constante et l’absence de statu quo – ou de « safe zone » – qu’ils parviennent à nous tenir en haleine. Un dispositif qui fonctionne d’autant mieux dans les jeux qu’au cinéma qu’ils requièrent une participation du joueur, un effort d’adaptation de sa part, bref de l’implication à chaque instant.

On peut pas enchaîner les parallèles entre jeu vidéo et cinéma sans faire un crochet par la narration. Cette dernière, complètement clairsemée, ne nous donne que peu d’informations quant au mal que l’on affronte. Quelles sont ses intentions ? D’où vient-il ? Et surtout, quelles sont ses limites ? C’est vrai ça, je viens de voir un putain de ptérodactyle putréfié me sauter au visage, qu’est-ce qui me dit qu’à l’avenir ces bestioles ne seront pas capables de cracher du poison, de se téléporter dans mon dos, voire d’exercer un contrôle mental sur mon PJ… cette incertitude permanente due au manque de recul du joueur / personnage par rapport aux événements, en plus de titiller cette peur ancestrale de l’inconnu, de l’étranger, de l’alien qui caractérise nos pauvres esprits étriqués, fait travailler notre imagination et entretient la méfiance à l’égard de chaque nouveau type de créature rencontré (de quoi est-il capable ?), chaque silhouette de forme inhabituelle ou chaque nouveau bruit entendu, quitte à passer du temps à identifier chaque son, de la ventilation asthmatique au cri lointain d’une sirène d’alarme, pour être sûr qu’il ne s’agit pas d’un truc dangereux. Ces ambiances sonores prenant peu à peu le pas sur la bonne vieille « musique qui fait peur » dont le sur-usage devenait un peu foireux. Autant dans Skyrim, avoir une petite musique de combat qui se déclenche à l’approche d’un adversaire c’est sympa pour appuyer l’action, autant avoir des violons épileptiques dans les oreilles lorsqu’un danger se profile à l’horizon – et avant de le voir apparaître ! – dans Alan Wake casse un peu la surprise.

Dead Space

A la croisée des films Cube et Alien, Dead Space et ses environnements qui veulent vous violer.

L’environnement

Last but not least, l’environnement. Toujours plus glauque, toujours plus hostile mais surtout varié: qu’il s’agisse d’une gradation comme dans Amnesia qui nous emmène dans des endroits de plus en plus dégueulasses ou d’une alternance brutale comme dans Dead Space 2 qui varie les menaces, le joueur ne s’y sent jamais à sa place ! Sérieusement, qui aurait idée d’aller se promener sur la coque d’un vaisseau spatial à l’abandon ? L’univers du jeu est un monde froid et inconnu, un environnement mécanique qui renverse les codes les plus basiques comme la pesanteur ou la notion de haut ou de bas pour nous placer en situation de faiblesse permanente. Claustrophobie, peur du noir, perte de repères sont autant de points d’entrée sur lesquels peuvent jouer les développeurs sans avoir à montrer ne serait-ce qu’un bout de monstre. On l’a bien vu avec la saga des jeux Resident Evil, qui ont quitté leur statut de survival-horrors pour devenir des jeux d’action pure lorsque l’apparition des zombies y est devenue non plus un événement rare et anticipé mais une routine, prétexte à un carnage organisé.

Une astuce qui fait toujours son petit effet est l’évènement traumatisant qui surgit au moment où le joueur se sent en sécurité. Vous vous souvenez du début de Silent Hill ? Harry rencontre une figure sympathique et rassurante, l’agent Cybil, qui l’aide alors qu’il se croyait seul dans cette ville déserte. Réfugié dans un café à l’abandon, il fait une pause, prend le temps de la réflexion, bref se croit en sécurité et là paf sans prévenir surgit un ptérodactyle improbable qui essaye de le bouffer. C’est d’autant plus perturbant que merde, un ptérodactyle quoi, dafuq ?

Aaaah, les personnages de survival-horror. Dans ces couloirs sombres et délabrés peuplés de saloperies agressives, nos pauvres PJ auraient bien besoin de croiser un visage sympathique ! Malheureusement pour eux, les « alliés » typiques du genre ne sont pas d’un grand secours. Ou bien ils ont la mauvaise habitude de faire des groupes de un et de partir de leur côté, ou bien on n’est en contact avec eux que par l’intermédiaire de communications radio, de messages laissés ça et là, ou d’hallucinations. Sans compter qu’on ne peut jamais leur faire tout à fait confiance. Qu’est-ce qui nous garantit que ce personnage omniscient qui nous guide via le système de vidéo surveillance n’est pas en réalité en train de nous attirer dans un piège ? Pourquoi le colonel veut-il à tout prix ramener l’alien sur Terre ? Ma propre sœur jumelle est-elle digne de confiance ou complètement possédée ? (voir Project Zero II : Crimson Butterfly) et ça, c’est uniquement dans le cas de figure où lesdits personnages survivent assez longtemps pour entrer en contact avec le héros. On notera d’ailleurs que la réunion avec d’autres « survivants » est souvent un objectif en soi, qui représente une lueur d’espoir ainsi que le fil ténu auquel le PJ se raccroche pour ne pas sombrer dans la folie. Encore un procédé de plus que ces pervers de développeurs utilisent pour plonger le joueur dans la consternation !

Voilà qui clôture ce dossier. Vous trouverez plus bas une liste de jeux que je considère comme des « références » du genre et sur laquelle je me suis très largement appuyé pour la rédaction de cette analyse. N’hésitez pas à partager votre top 5 des jeux qui vous ont le plus angoissés ou à nous faire découvrir les pires saloperies de votre gamothèque !

  • Silent Hill et Resident Evil – impossible de ne pas citer les épisodes fondateurs de ces séries ne serait-ce que pour leur utilisation astucieuse de procédés cinématographiques, notamment le hors-champ !
  • Amnesia : the Dark Descent – l’empathie et l’immersion poussées à leur paroxysme.
  • F.E.A.R. – pas vraiment un survival mais bel et bien une révolution technique (les éclairages dynamiques) au service de l’ambiance !
  • Eternal Darkness – un univers désespérant, des personnages qui marchent sur le fil séparant la raison de la folie et l’utilisation judicieuse d’une jauge de santé mentale.
  • Dead Space 1 & 2 – synthèse de tout ce qui se fait de meilleur en matière de SF d’horreur, utilisation extensive de procédés cinématographiques.

Co-papa du blog, gribouilleur de profession et amateur de fromage, le Doude est un gamer au grand cœur qui a élevé le tourisme vidéoludique au rang d'Art. Troquant ses T-shirts d'obscurs groupes de Metal pour une chemise à fleurs, il parle à tous les PNJs, fait des screenshots des paysages juste parce que c'est beau et peut passer des heures à choisir quel pantalon mettre à son personnage pour qu'il soit assorti à son armure du Chaos +7.