par Doude le 5 juin 2012
 

Darwinia

Évolution des petits êtres, des consciences et du marché

Darwinia, second jeu du studio Introversion Software, acclamé par les critiques anglais et américains, popularisé dans nos verts pâturages par Steam et les indie bundles si à la mode, c’est un peu comme, hmmm… comme un chocolat belge: c’est parallélépipédique, ça a le potentiel d’être plein d’une liqueur dégueulasse mais des fois non, y’a de la praline dedans, et c’est super bon.

Date de sortie: 2005
Genre: RTS lowpoly
Plate-forme: PC, XBLA. Testé dans sa version PC

Développeur / éditeur: Introversion Software

J’exagère, je vais loin dans la métaphore. Mais il faut avouer que Darwinia ne paie pas de mine: nous proposer de jouer dans un monde dans lequel une colline est un tas de polygones mal dégrossis empilés pour faire une bosse, et un gouffre un tas de polygones creusés pour faire un trou, fallait oser. Les bâtiments ne sont pas texturés, les personnages sont des stickmen verts tout plats, les ennemis des flèches de lumière qui courent sur le sol… décidément, rien dans ce monde ne ressemble à quoi que ce soit de connu alors que la tendance était plutôt à la course au bling-bling, aux jeux de lumière complexes et autres rendus réalistes des surfaces aqueuses. Un parti-pris couillu donc, dont on apprend rapidement qu’il vise à nous immerger dans un univers virtuel possédant un écosystème propre. Alors oui, tous les jeux vidéos reposent sur ce principe de transposition du joueur dans un univers virtuel, mais là c’est pas pareil : le joueur, c’est bien vous, brave gamer, derrière votre écran, qui faites tourner un programme dans lequel il se passe des choses. Vous jouez à être vous en train de jouer à Darwinia, quoi. Bref.

Mais alors... que font-ils ?

Des pitits Darwiniens au travail à la centrale solaire. Wait, il n’y a pas de soleil dans ce jeu.

Dans ce programme, les Darwiniens, petits êtres doués de conscience, vivent et croissent en accomplissant diverses tâches comme extraire des polygones dans des montagnes de polygones, ou produire de l’énergie en bidouillant des algorithmes. Ils seraient probablement devenus suffisamment intelligents pour écrire de la poésie ou construire un modèle social basé sur de saines valeurs capitalistes en s’upgradant sur quelques milliers de générations supplémentaires si on leur en avait laissé le temps, seulement voilà, Darwinia est infecté par un virus vorace, qui mange nos petits stickmen plats et assimile leur conscience. A nous, joueurs, de filer un coup de main à un développeur débordé qui se casse les neurones à endiguer l’invasion, pour remettre le monde en état de marche.

Une fois nos yeux habitués à l’inhabituel habillage graphique du jeu, ses vastes pâturages polygonaux, son ciel laser qui fleure bon les années 80 et ses effets de pixelisation pas toujours très heureux, faut avouer qu’il ne manque pas d’une certaine classe, cet univers, tout de même. Pour remplir nos objectifs, on peut faire tourner simultanément un nombre limité de programmes dans le cyberespace*, entendez par là créer des petits soldats et de petits ouvriers qui revendiquent fièrement leur héritage Tron-esque dans leur design. Les uns servent à trucider du virus à coups de blasters et grenades, les autres à ramasser les ‘âmes’ ainsi libérées et faire fonctionner des infrastructures. Tout ça dans le but de rebâtir une population saine de Darwiniens.

Tout ce qui est rouge c'est du méchant.

Une infection virale raisonnablement étendue.

On ne contrôle pas ces derniers. En effet, tel un Lucifer offrant le libre arbitre à une humanité se demandant encore à quoi sert ce truc entre ses jambes dans le jardin d’Eden, le développeur de Darwinia a doté ses créatures d’une conscience totalement libre, que ces dernières utilisent pour glander à loisir et ne rien faire de productif (ce qui est logique et louable, quand on y réfléchit). Dommage par contre qu’ils ne soient pas doués d’un quelconque instinct de préservation, qui leur dicterait la fuite en cas d’attaque de virus… mais non, les Darwiniens sont cons et restent plantés là à se faire décimer sans réagir, peut-être même en rigolant, qui sait ? On ne le saura jamais, ils n’ont pas de visage. Il faudra, pour les sauver de leur propre incurie, les diriger par le biais d’un ‘officier’ qui, tant bien que mal, les guidera comme on le ferait pour des Lemmings vers des zones plus sûres ou les doter d’un armement approprié. L’exercice est rendu hasardeux par un pathfinding** parfois approximatif et un relief trop abrupt pour permettre un passage en bon ordre des petits gugusses (il suffit de les laisser sans surveillance vingt secondes pour qu’ils se mettent à glisser au fond d’un ravin où à s’éparpiller n’importe comment). Les autres unités du jeu connaissent les mêmes problèmes, ce qui s’avère frustrant vu l’importance du map-control et des déplacements dans ce jeu. Plus chiant qu’handicapant, les parties de Darwinia étant plutôt pépères et plus fatigantes pour les neurones que pour les doigts, mais chiant tout de même.

Le produit fini est là, joli, intéressant, astucieusement conçu mais pas vraiment fascinant, au final. Le manque de rythme, de protagonistes et d’une réelle histoire font qu’il s’essouffle assez vite. Les objectifs, similaires d’une mission à l’autre, sont plus une épreuve de patience que de tactique, au vu de l’immensité des cartes par rapport à la petitesse de nos unités, et de leur lenteur. On consomme avec plaisir certes, mais aussi avec modération car Darwinia lasse rapidement, cette belle expérience qui aura le mérite de savoir dépayser tant par ses mécanismes que ses visuels.

 

On aime:

  • La direction artistique
  • Plein d’écrans de chargement rigolos (j’ai cru que mon PC s’autodétruisait lorsqu’il a chargé le jeu façon Commodore mais en fait non, haha c’était une facétie des développeurs)
  • Des mécaniques de jeu originales (sans réinventer la roue non plus hein, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas pensé)

On râle sur:

  • Le pathfinding foireux
  • Le level design pas toujours bien pensé
  • Cet effet de pixellisation moisi sur toutes les unités, qu’on peut heureusement désactiver

 

Vos escouades partent courageusement se faire ouvrir par la gatling de l’autre équipe.

A noter que Darwinia est doté d’une ‘suite’, Multiwinia, sortie en 2008 et proposant une expérience radicalement différente bien que se situant dans le même univers. Si Darwinia est un RTS posé et incitant au tourisme, Multiwinia est un insatiable broyeur à viande, pardon à pixels, mettant en scène des affrontements rapides de Darwiniens, renommés en Multiwiniens pour l’occasion, d’une rare violence. Générateurs de vagues infinies d’unités, armes dévastatrices et déséquilibrées, explosions, cris de panique, volées de lasers, Multiwinia c’est la blitzkrieg permanente sans espoir de paix, avec un mode multi s’il vous plait !

Hélas, si c’est effectivement marrant de voir des vagues de ces petits machins se décimer vicieusement au point que la map ne soit plus qu’un immense champ de bataille illuminé ça et là de la lumière d’une explosion ou d’une trainée verdâtre marquant le début d’une infection de peste se soldant par l’explosion des infectés, il n’y a pas assez de profondeur de jeu pour justifier des tactiques plus avancées que « je suis plus nombreux que toi meurs lol ». Certaines maps peuvent d’ailleurs se gagner sans avoir à bouger la souris (je pense en particulier au très mal conçu mode « assaut » où il est question de prendre une forteresse lourdement défendue) et, entre deux joueurs de skill égal, c’est souvent le hasard qui tranchera sous la forme d’une caisse tombant à un point aléatoire de la map et recelant un power-up déséquilibré.

Rigolo, mais sans réel intérêt quoi.

 

* Décidément, j’aime ce mot à la délicieuse désuétude.

** Le truc qui fait aller un personnage du point A au point B en calculant la trajectoire la plus courte et en évitant les obstacles. Confrontation est une référence en la matière, lisez-donc cet excellent article dans lequel je détaille le phénomène avec brio et drôlerie.

On aime


On râle sur


Co-papa du blog, gribouilleur de profession et amateur de fromage, le Doude est un gamer au grand cœur qui a élevé le tourisme vidéoludique au rang d'Art. Troquant ses T-shirts d'obscurs groupes de Metal pour une chemise à fleurs, il parle à tous les PNJs, fait des screenshots des paysages juste parce que c'est beau et peut passer des heures à choisir quel pantalon mettre à son personnage pour qu'il soit assorti à son armure du Chaos +7.